Définition et catégories
La bulle internet de l’an 2000 a bouleversé et apporté un changement dans le paysage économique traditionnel, notamment avec l’apparition de nouveaux acteurs du commerce : les pure players. Cette expression est un anglicisme qui désignait à l’origine, une entreprise qui exerce dans un secteur d’activité unique non diversifié. Aujourd’hui, l’expression est utilisée pour désigner ces entreprises dont l’activité est exclusivement menée en ligne ou sur internet.
Les pure players peuvent être classés en quatre grands groupes :
- Les pures players généralistes qui proposent une offre très large et qui ont leurs propres places de marchés respectives : Amazon, Cdiscount, Rue du Commerce…
- Les pure players spécialisés en une famille de produits : L’Exception, Sarenza, Menlook, ManoMano…
- Les places de marchés natives : eBay, PriceMinister…
- Les sites de ventes événementielles : Showroom Privé, Vente Privée, Bazarchic, qui pratiquent le déstockage en ligne.
Estefania LARRANAGA ; Lucie SOULARD ; Le Retail face aux nouveaux modes de consommation – S’adapter ou disparaître ; Ed. Dunod ; 2018 ; p. 9.
Quelques distinctions
Les pure players se distinguent des commerçants traditionnels dont le caractère physique de l’activité est au cœur de leur organisation. On a d’une part les brick and mortar (brique et mortier) qui sont des entreprises classiques ne possédant que des magasins physiques ; et d’autre part, on a les click and mortar ou bricks and clicks qui elles, à la différence des premières, possèdent en plus, une boutique en ligne.
Une stratégie particulière
S’appuyant sur les différents leviers offerts par internet et les technologies numériques, les pure players ont su établir une stratégie innovante et un nouveau modèle d’affaires leur permettant d’être très compétitifs et performants, au point de devenir une réelle menace pour les commerces traditionnels.
Cette stratégie et ce modèle d’affaires est axé sur le totalement digital ; ce qui leur permet de s’adapter en permanence au marché, aux attentes et nouveaux modes de consommation des clients.
Les pure players se distinguent ainsi par :
- Une stratégie de volumes et de prix relativement bas. Les prix bas proposés sont leur plus grande source d’avantage concurrentiel ;
- Une diversification de l’offre. Ceci est d’autant plus vrai sur les places de marché où il y a un large panel de commerçants proposant une variété de produits et de services, ce qui n’est pas forcément le cas des retailers traditionnels qui sont en général sur une ou quelques gammes de produits et/ou services ;
- Une réponse au besoin d’immédiateté des consommateurs : nous sommes aujourd’hui à une ère du « tout, tout maintenant, tout ici » et, pouvoir répondre aux besoins des consommateurs le plus rapidement possible et à n’importe quel moment est une véritable force ;
- Des sites performants en termes d’ergonomie, d’ux, etc. ;
- Une fiabilité des produits et services garantie et renforcée par la mise en place de systèmes de notation et d’avis des consommateurs ;
- Une maîtrise de la logistique et des livraisons ;
- Et surtout, la collecte plus grande de données personnelles permettant d’asseoir un webmarketing plus performant, plus personnalisé afin mieux cibler et attirer les clients ;
- A cela, il faut ajouter la possibilité, selon la catégorie de pure player considéré, de faire des marges quand même importantes sur des activités secondaires telles que la commercialisation d’espaces publicitaires (c’est souvent la principale source de revenu des médias en ligne), le référencement de vendeurs tiers et les commissions sur les ventes (cas des places de marché), la vente de base de données, les vente de services, revenus d’affiliation, etc.
L’on comprend pourquoi les pure players sont devenus une véritable menace pour les commerçants traditionnels qui ont dû s’adapter, reconsidérer le côté digital dans leur stratégie, surtout sur le volet marketing et canaux de distribution, afin de ne pas tout simplement disparaitre face à cette rude concurrence.
Des limites quand même
Certes, les pure players sont devenus très attractifs et même incontournables dans le paysage économique et commercial. La crise sanitaire liée au COVID l’a prouvé une fois de (Amazon pour exemple a réalisé 6,3 milliards de dollars). Toutefois, ils font face à certaines difficultés qui érodent de plus en plus leur compétitivité.
Elles sont dues :
- À la dématérialisation de l’interaction avec le produit : beaucoup de consommateur souhaitent appréhender de visu le produit, le toucher, le sentir, le manipuler, l’essayer avant l’achat. Les mécanismes d’avis et de notation deviennent donc insuffisants ;
- À une absence de confiance dans le paiement en ligne : si une certaine confiance s’est entre temps installée, elle a beaucoup diminué ces dernières années avec les phénomènes de plus en plus croissants d’escroquerie en ligne, de piratage et vol des données bancaires, de violation de la vie privée ;
- À la problématique du service après-vente et du retour des produits : pour un commerce en ligne, le SAV doit être de qualité et les modalités de retours simples et satisfaisantes. Ces services sont mal assurés par certains e-commerçants et face à cela, les consommateurs deviennent réticents ;
- Face à la dégradation des relations humaines accentuée par internet, les clients sont de plus en plus à la recherche d’interactions humaines.
Que faut-il faire ?
Il devient crucial pour les pure players de repenser le modèle d’affaires et la stratégie afin de faire face à ces différents freins. Certains ont pris conscience que le véritable problème résidait dans l’organisation elle-même. Les activités se déroulant totalement sur internet, aucun contact, aucune interaction n’est engagée à aucun moment avec le client durant son parcours achat. Ils ont compris que ce que veulent réellement les consommateurs, c’est une réhumanisation des activités. Et cette réhumanisation, plusieurs l’ont entamée à travers diverses approches.
Certains misent par exemple sur l’amélioration de l’expérience d’achat. Les transactions en ligne étant dématérialisées, l’objectif est de faire qu’il y’ait le plus d’interaction possible et plus de réalité lors de l’acte d’achat. Ceci passe par une sollicitation plus active des sens durant tout le parcours. Cette interaction passera notamment par les chats live pour une discussion permanente durant l’achat, que ce soit pour des demandes d’informations ou un conseil, comme un client le ferait avec un conseiller ; elle peut se faire vocalement, grâce à l’usage de l’intelligence artificielle, comme l’Assistant Google ou Alexia d’Amazon. L’on peut revoir la mise en présentation des produits pour que l’internaute puisse mieux se projeter par rapport au produit. Ainsi, certaines enseignes intègrent des vidéos de présentation du produit, une possibilité de zoomer pour mieux voir les détails. D’autres vont plus loin en intégrant des possibilités d’essayage 3D avec une réalité virtuelle augmentée.
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C’est le cas par exemple d’ASOS qui a lancé en janvier 2020 un outil de réalité virtuelle augmentée nommée « See My Fit » qui permet d’afficher un vêtement porté sur plusieurs morphologies et de personnaliser ainsi son essayage.
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En juin 2019, l’entreprise avait mis au point le « Virtual Catwalk », sa première expérience de réalité augmentée, en partenariat avec la société de RA HoloMe qui est sur Londres. Il suffit juste de pointer simplement la caméra de son smartphone sur n’importe quelle surface plane appropriée et de cliquer sur le bouton “ AR ” sur la page du produit pour voir un modèle, à travers le téléphone, comme s’il marchait le long de la surface devant soi. Ceci offre aux clients une nouvelle façon de voir les produits dans la vie réelle.
D’autres commerçants en ligne ont décidé de miser sur l’amélioration de leur relation clients. Ainsi, au-delà de l’interaction accrue lors de l’acte d’achat en ligne, ils vont essayer d’instaurer une relation de proximité et privilégiée avec le consommateur à travers l’amélioration de leur plateforme SAV/CRM ou encore en mettant en place des points de vente éphémère, showroomings, pop-up store et autres évènements de marque (exemple du pop-up store qu’Amazon avait lancé en 2015 dans le Centre Commercial Les Quatre Temps à la Défense pour présenter ses liseuses Kindle). Ceci permet au client d’avoir, même de manière éphémère, un point de contact physique avec la marque, une matérialisation de la relation client-marque, un ancrage réel. C’est un véritable moyen pour rassurer, séduire et mieux convaincre la clientèle. Le client se sent plus en lien, privilégié et vit une expérience unique.
D’autres vont même encore plus loin, en remettant en cause l’organisation même d’une pure player, pour avoir des boutiques physiques. Ces magasins physiques vont ainsi matérialiser cette réhumanisation des activités des pure players. Plusieurs commerçants en ligne ont repensé leur stratégie d’organisation et leur modèle d’affaires pour se transformer finalement en « Bricks and Clicks ». Amazon n’y échappe. Il a lancé en janvier 2018, son premier magasin physique, Amazon Go. On recense aujourd’hui 28 magasins Amazon Go, dont 27 aux USA. Le 28è a été lancé le 4 mars dernier en Europe au Royaume Uni sous la marque Amazon Fresh. Une telle stratégie est connue sous le nom « physicalisation » des pure players.
Il faut remarquer qu’un tel retournement de stratégie et d’organisation présente bien d’avantages. Au-delà de cette proximité, de ce lien privilégié et de cette expérience unique qu’elle permet (ce qui améliore la relation client/marque), une telle stratégie permet à l’entreprise d’asseoir sa présence sur le marché local, d’élargir son offre (en proposant d’autres produits, des produits additionnels aux clients qui y viendront ; et n’oublions pas la possibilité d’un achat compulsif), et d’élargir surtout son canal d’acquisition de client (en attirant des personnes non intéressées par les transactions en ligne). Par ailleurs, ce sont également des gains réalisés en termes de coût logistique (frais de livraison, délai de livraison réduits puisqu’il va pouvoir livrer localement à partir des stocks de son magasin ; ces frais deviennent inexistants en cas de « click and collect »).
Il faut noter que cette physicalisation ne passe pas forcément pas la création ex nihilo d’un magasin physique. Certains pure players optent pour le rachat de « brick mortar » déjà existants et qui leur serviront de point d’ancrage (par exemple en juin 2017, Amazon a racheté un réseau de 470 supermarchés Bio Whole Food pour marquer sa présence sur le secteur de l’agro-alimentaire). D’autres partent plutôt sur des synergies commerciales et des partenariats avec des commerces traditionnels pour leur servir de point de contact et de retrait de commandes, ou même de relais physique et local pour la vente de leurs produits (exemple du partenariat Rakuten-Walmart ou encore, des deals Alibaba-Auchan). Dans tous les cas, quelle que soit la stratégie de physicalisation adoptée, l’objectif reste toujours de créer cet ancrage réel et de se faire plus proche de ses clients en recherche d’interaction sociale et de réhumanisation des activités.
En conclusion
Si les pure players sont devenus des concurrents féroces des commerçants traditionnels au point de menacer leur existence, très rapidement, ils ont dû faire face à une certaine limite du fait même d’avoir misé sur une stratégie organisationnelle totalement digitale. Les pure players ont appris à leurs dépens qu’au-delà de l’attractivité des prix, les clients ont besoin d’interactions sociales. Ils ont besoin de réhumanisation des activités. Les pure players ont dû donc injecter plus d’humain dans leurs activités, leur stratégie et organisation en se physicalisant. En somme, la meilleure stratégie aujourd’hui n’est pas celle qui mise totalement sur le numérique et les évolutions technologiques. La meilleure, c’est celle-là qui sait allier digital et physique (ou traditionnel).
Sources
ISAAC Henri ; e-Commerce –Vers le commerce connecté ; Pearson France ; 4è édition ; 2017 ; 460 p.
LARRANAGA Estefania ; SOULARD Lucie ; Le Retail face aux nouveaux modes de consommation – S’adapter ou disparaître ; Ed. Dunod ; 2018 ; 215 p.
https://fr.slideshare.net/mobile/merylBB/meryl-perradin-comalm4
https://escp.eu/fr/news/physicalisation-des-pure-players
https://junto.fr/blog/pure-player/
https://www.google.com/amp/s/www.dynamique-mag.com/article/avenir-pure-players.9207
https://business.wishibam.com/articles/pure-players-commerces-physiques/
https://ucopia.com/actualites/pure-players-points-de-vente/
Juriste en Droit des Affaires/Droit des Sociétés
